La Grande Guerre

Depuis le 1er août et jusqu’en septembre 1914, le village s’est vidé de ses hommes valides. Restent le maire, le curé, le cantonnier, le garde champêtre et le boulanger. Les pères des familles nombreuses sont encore là. On reçoit des courriers des soldats, on pense à envoyer des colis. Les moissons sont terminées et on s’occupe des pommes de terre. Le village est calme, mais les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Des soldats sont portés disparus. Dans la vallée de la Lys, des patrouilles allemandes sont vues. Le jeudi 8 octobre est le dernier jour de vie normale dans le village. Le facteur passe pour la dernière fois avant longtemps. Le vendredi 9, un défilé incessant de civils traverse la rue Royale.

Les 20 000 de Radinghem

Ce 10 octobre 1914, le village de Radinghem connut une de ses pires journées. Des tués, des blessés et bon nombre de prisonniers. Des destins fracassés… et oubliés…

Au mauvais endroit au mauvais moment.

Lille s’apprête à être assiégée par l’ennemi allemand. Le vendredi 9 octobre 1914, parvint dans les mairies l'ordre d'évacuation de tous les hommes valides, de la région lilloise. L’ordre vient du préfet.

Il fallait, sur l'instant, les Allemands approchants, quitter l'agglomération et se diriger vers Gravelines.

Au même moment, les autorités militaires décident de rapatrier vers Lille, le 8° RIT, stationné à Fromelles avec leur lourd matériel en vue de la bataille annoncée. S’ajoutent des habitants fuyant l’arrivée des Allemands.

On a donc, une colonne progressant vers la mer, une autre vers Lille.

Ce flot, évalué à plus de 20 000 personnes est si dense, qu’une grande partie d’entre eux ne dépasseront pas Erquinghem-Le-Sec ou Radinghem. Ce 10 octobre, tous se retrouvent au petit matin, sous la brume, sur les routes alentours.

C’est la cohue…

Mais l’avant-garde allemande composée de Ulhans est déjà dans le village et cerne civils et militaires. Radinghem devient une nasse.

Quand les Allemands commencent à tirer, c’est le sauve qui peut. On se cache dans les fossés, les maisons, les remises, l’église… Tous cherchent un abri.  Il y a des morts et de nombreux blessés. Un grand nombre de ces civils et militaires est emmené en captivité. Les prisonniers sont envoyés dans les camps de Merseburg et d’Haverberg en Allemagne. Même le curé Monteuis de Radinghem est dans le convoi.

Au soir du 10 octobre, la population est sous le choc. Femmes et enfants se terrent dans les caves.

Le 13 octobre, le village enterre les mortsplus ou moins bien identifiés. Il y a 10 civils et 9 militaires.

Le Conseil Municipal du 5 juillet 1923 décide d’ériger une stèle « La stèle des 20 000 » sur une concession à perpétuité dans le cimetière communal afin de leur rendre hommage.

Au travers de leurs récits, des rescapés nous racontent leur histoire…

  • Georges Motte, notable roubaisien nous raconte :

Nous sommes maintenant dans le village de Radinghem dont nous dépassons l’église. Une route vient couper perpendiculairement (NDLR rue Ponchel Boutry) celle que nous suivons et nous approchons du carrefour ; quand un cavalier allemand traverse ce carrefour au galop, venant de notre gauche et continue vers la droite. Nous comprenons avec terreur qu’il est trop tard et que nous allons être cernés. Hommes, femmes, enfants se réfugient en masse dans les maisons environnantes, mais la plus grande partie, au moment où les mitrailleuses commencèrent à parler, bientôt suivies de la canonnade, n’eut d’autre ressource que de se terrer dans les fossés de la route ou même dans les champs de betteraves (…) au milieu des balles venant de tous les côtés.

G. Motte développe ensuite le regroupement de tous les civils tant à Radinghem que dans les villages voisins pour former une longue colonne de prisonniers qui seront emmenés en Allemagne.

  • L'abbé Emile MONTEUUIS est alors le curé de la paroisse depuis 1903

Son frère, le chanoine G. MONTEUUIS écrit, en 1918, un livre : "sous le joug allemand", il y raconte son vécu de la Grande Guerre, et consacre un chapitre à son frère, curé de Radinghem.

Sous le joug allemand

Chanoine G MONTEUUIS

Lauréat de l'Académie Française

Desclée, De Brouwer et Cie

Le samedi matin 10 octobre, il rentrait d'avoir célébré la sainte messe, lorsqu’il vit des hommes affolés se précipiter dans les maisons. C'étaient des malheureux mobilisés poursuivis par les Allemands qui les tiraient comme des lapins de garenne. Pour échapper à la mort tous cherchaient à s'abriter derrière quelque mur. Il leur ouvrit son presbytère. Mais déjà les Allemands procédaient à la visite des habitations. Le curé avait à peine eu le temps de reconnaître ses hôtes qu'on brisa ses fenêtres et heurta la porte à coups de crosse. Lui-même s'en fut ouvrir et les allemands de l'interpeller aussitôt : "vous cachez des soldats français" –"non, ce sont des civils qui se sont réfugiés chez moi". Après avoir visité la maison de haut en bas, l'officier descendit à la cave et braqua le canon de son revolver sur les malheureux… Après les avoir fait sortir, on les mêla à la foule des autres prisonniers. Le curé fut gardé à vue… 

On l'appela à comparaître devant l'officier supérieur pour avoir donné asile à des soldats français et envoyé des signes aux anglais.

Le lundi 12 octobre, à deux heures, la colonne de prisonniers se mit en marche. C'était la marche vers l'exil, et la prison.

 

Émile Monteuuis fut emmené avec les autres prisonniers. Destination, Mersebourg en Saxe.

Étant prêtre, il sera rapatrié en France après quelques mois passés au camp de prisonniers. Il décède le 4 mars 1942 et est inhumé à CASSEL.

 

  • Récit d’un anonyme dans le bulletin paroissial de Radinghem en octobre 1964 :

J’avais un ami de Roubaix qui me raconta plusieurs fois l’histoire qui lui est arrivée à Radinghem en octobre 1914.

J’étais parmi les civils mobilisables qui marchaient par centaines vers Béthune pour échapper aux allemands, j’avais comme compagnon un séminariste. Comme nous arrivions à la Pichotte, le séminariste m’entraina chez Monsieur le Curé qu’il connaissait, c’était l’abbé Monteuuis, il voulait le saluer en passant. Nous étions à peine arrivés et nous avions posé nos sacs, des coups de feu retentissent. Sur l’invitation de Mr le Curé, nous descendons à la cave. Au bout d’une demi-heure, nous entendons des cris rauques dans la maison, nous remontons de la cave et des Uhlands, carabine au poing, nous montrent nos sacs et disent « soldaten hier ». Puis ils nous poussent sur la rue avec Mr le Curé et nous voilà dans les rangs d’une foule de gens comme nous, qu’ils emmènent comme prisonniers. Nous passons la première nuit dans une église (NDLR : église de Fournes) et enfin nous échouons dans un camp de prisonniers en Allemagne. Mr le Curé a été séparé de nous. 

  • Récit de Marcel Dutoit, Sergent au 8° Territorial.

Le samedi 10 octobre 1914, ma compagnie la 10° du 8° régiment territorial, se trouvait en arrière garde du 3° bataillon et se rendait à Lille. Celui-ci nous ayant abandonné pour avancer plus rapidement, nous fûmes attaqués par la cavalerie allemande au village de Radinghem, à 9 km de Lille. Ne possédant ni canons, ni batteries, et massacrés par le feu de l’ennemi, nous nous repliâmes sur Armentières. Etant sous-officier, j’eus l’honneur d’être particulièrement visé […]. Cependant une balle m’atteignit, en me brisant le col du fémur et je tombai dans un fossé plein d’eau, en bordure de la route. Je m’attendais à être découvert et fait prisonnier, quand, à ma profonde surprise, au bout de vingt minutes, de braves fermiers français venaient me relever. À peine m’avaient-ils caché dans leur grange, en compagnie de 2 chevaux, que les soldats entrèrent dans la grange et l’explorèrent de tous côtés pour me découvrir, mais ce fût en vain et lis se retirèrent dépités. Je vécus ainsi une semaine chez ces bons paysans, et malgré des perquisitions faites jusqu’à dix fois par jour pour me trouver, jamais aucun ennemi n’entra dans le lieu où j’étais réfugié. […]. Je fus recueilli après ces huit jours, par une patrouille anglaise.

  • Journal Officiel du 7 SEPTEMBRE 1933

 

Documents parlementaires. (Tant Camille), 19 ans, employé de bureau à Roubaix (Nord)

—Rapports Payrelle t II p.56 n°82----

Témoignage confirmé par Madoux (Jean), 18 ans à Hem (Nord)--- Rapport Payrelle n°82) 

Le 10 octobre, j’ai été arrêté par les Allemands dans un estaminet à Radinghem, où je m’étais réfugié. Après avoir reçu des coups de crosse et des coups de chaise, j’ai été conduit à Carnin, où avec 800 autres prisonniers civils, tous de 18 à 45 ans, j’ai passé la nuit dans une église. Le lendemain matin, nous avons été emmenés à Douai, toujours maltraités et, de là embarqués pour le camp de Mersebourg (Saxe), dans des wagons à bestiaux où on nous a entassés au nombre de 60 à 85 par voiture. Nous avons dû faire ainsi, debout, un trajet qui a duré soixante-douze heures et pendant lequel, on ne nous a donné que deux fois de la nourriture.

Pendant trois semaines nous avons couché à Mersebourg, sur la paille, à même la terre, dans des baraques provisoires fort basses. Ensuite, nous avons été logés dans des baraquements plus vastes, plâtrés et chauffés par des poêles. Nous avons eu là des paillasses et des couvertures. Le matin, nous avions une décoction d’orge grillée ; à midi, un jour, de la soupe aux légumes, principalement aux betteraves : un autre jour, du macaroni, de l’orge crue, du riz avec quelques filaments de viande, qui, souvent, sentait fort mauvais ; le soir, de la farine délayée dans de l’eau, que nous appelions de la colle, ou bien un bout de boudin, ou du fromage immangeable, ou encore un hareng salé.

Chaque jour, nous recevions environ 200 grammes de pain gris. Nous étions tous affamés.

Il y avait dans le camp environ 3000 prisonniers civils, tous des hommes et 6000 prisonniers militaires, français, belges, russes, anglais.

  • Victor Vermeersh, blessé et rescapé

Victor Vermeersch, natif de Bourbourg, soldat blessé du 8ème RTI, ce 10 octobre, git sur la route. Il est mis en joue par un Uhlan, mais il est sauvé parce qu'il demande pitié … en flamand. Il est fait prisonnier et amputé du bras droit.

  • Crédit : Fleury Mayolle,  soldat au 8° territorial, archives familiales de Christine Lotin/ Source : Association L’A.T.B.14-18,  "Dans la tourmente de l'invasion 1914" éditions de L’A.T.B. 14—18.
  • L’intégralité du témoignage a été publié dans le livre de L’A.T.B.14-18 (exemplaires disponibles auprès de l’association).

Heureusement, la nuit fut calme. Au petit jour, quelques hommes de bonne volonté allèrent traire les vaches et le lait fut distribué à raison d'un quart par homme cependant que les escouades préparaient le café sur le bord de la route comme d'habitude. Le « jus » à peine avalé ordre est transmis au bataillon de regagner Lille. En dix minutes, les sacs sont rebouclés et le bataillon se met en route dans la direction de Radinghem, Englos et Haubourdin. La compagnie dont je fais partie, est laissée en arrière-garde, en soutien du convoi des voitures de l’ensemble du bataillon, au nombre de 22, de tous les calibres. En raison du brouillard épais qui nous enveloppait ce matin du 10 octobre, le capitaine flanqua le convoi de deux patrouilles en flanc-garde, le reste de la 10 -ème compagnie restant en arrière-garde derrière ce convoi. Le bataillon remontant vers Lille prit vivement de l'avance sur le convoi de voitures commandé par un lieutenant. Tout d'un coup, le convoi fut stoppé - je n'en ai jamais su la raison - dans un chemin creux partant de la Guichotte (Pichotte) à Radinghem et montant vers la côte d'Englos. Le convoi étant arrêté, la plupart des conducteurs et des éclopés étaient descendus de voiture et cassaient la croute au bord du chemin. Le brouillard, comme je l'ai dit plus haut, masquait la rue à cinquante mètres. Nous entendions bien des coups de feu, mais nous ne nous attendions pas à une attaque brusquée comme celle qui devait nous surprendre quelques instants plus tard. Cela débuta par un obus de 77 tiré du parc du Château de Beaucamps, d'une batterie qui nous avait repérés. Le premier obus passa au-dessus de nous et tomba une soixantaine de mètres plus loin, dans le cimetière de Radinghem. Mais les Boches rectifièrent leur tir et le deuxième obus tomba juste sur une des dernières voitures du convoi : les chevaux se cabrèrent, retournant la voiture, ce qui empêchait tout recul en arrière. Le troisième obus tomba sur une voiture de tête dont les chevaux retournèrent une ou deux voitures. Dès ce moment, nous étions bien pris dans une souricière, le convoi tout entier. Quelquesobus encore et ce fut l'assaut par un régiment de Dragons Blancs, régiment de la Reine. L'assaut débuta par des Hurrahs frénétiques des cavaliers qui nous chargèrent, la lance en avant ! Il ne dura que quelques minutes, la distance à parcourir de la Côte d'Englos où ils étaient n'étant que d'une cinquantaine de mètres. Une mitrailleuse nous avait entre-temps envoyé quelques rafales qui heureusement ne traversèrent que quelques capotes de voitures qui dépassaient la hauteur du chemin creux. Un de mes amis, le fourrier VIERON de La Gorgue-Estaires fut tué pour être remonté dans sa voiture reprendre sa sacoche qu'il avait laissée accrochée à un clou dans la voiture. Une balle de mitrailleuse l'atteignit en pleine poitrine et il tomba dans les pattes des chevaux. C'était un camarade : je n'ai plus jamais entendu parler de lui. Il n'est d'ailleurs jamais revenu au pays, c'est donc qu'il fut tué. Moi qui étais dans le chemin creux, je saisis mon fusil à travers les cavaliers. L'un d'eux me voyant le fusil en main chercha à m'empaler avec sa lance. Heureusement pour moi, le fer glissa le long du fer de la roue de ma voiture d'où je tirais sur les cavaliers, le fusil appuyé sur un rayon de roue. Je n'ai d'ailleurs tiré que deux cartouches, car si je n'avais pas lâché mon fusil, j'étais bel et bien embroché par le cavalier boche qui m'avait manqué une première fois. Ce fut une affaire qui ne dura que quelques minutes : tous ceux des voitures qui n'étaient pas tués furent faits prisonniers.

Les cavaliers boches, par signes, nous firent remonter sur le talus et nous mirent en colonne par quatre pendant que le reste de la compagnie, déployée en tirailleurs, par sections, tirait sur les cavaliers boches sans s'occuper le moins du monde des prisonniers au milieu d'eux. Une balle des nôtres traversa même ma capote entre mes jambes. Heureusement pour moi qu'elle ne passa pas plus haut, car j’aurais été fichu si elle m'avait traversé les reins. Aussitôt rassemblés, les Boches, par signes, nous donnèrent l'ordre de départ. Alors commença pour les prisonniers une course folle à travers champs en direction de Beaucamps et Fournes. Il nous fallait courir au galop des chevaux sous peine d'être tués sur place d'un coup de lance, ce qui est arrivé à plusieurs camarades qui ne purent suivre le train, car notre compagnie continuait toujours à tirer dans notre direction, tant sur nous que sur les Boches qui nous emmenaient. Notre capitaine qui était monté avec une escouade au premier étage de l'estaminet de la Pichotte brûla toutes les cartouches de l'escouade sur les cavaliers boches. Quelques instants plus tard, il était lui aussi fait prisonnier avec son escouade, faute de munitions ! Je n'ai jamais connu le nombre de cavaliers boches descendus, mais il doit y en avoir eu passablement, car les nôtres tiraient leurs rafales sans arrêt, à couvert derrière les haies d'une pâture. Ils ont ensuite battu en retraite comme ils ont pu, sous les ordres du lieutenant BONPÂIN et du sergent GERVAIS, tous deux de la compagnie, et ont réussi à rallier Dunkerque à travers les lignes boches. Ma compagnie a eu danscette attaque pasmal de tués et de prisonniers. D'après une carte que je reçus en Allemagne du lieutenant BONPÂIN, celui-ci me disait avoir repris la classe avec cent vingt élèves ou cent vingt hommes, ce qui est un assez fort déficit pour une compagnie qui comptait la veille encore, deux cent cinquante hommes sur la situation au 9 octobre.

  • Récit de Jules Wadoux, curé de Fournes Texte publié dans le livre : "Dans la tourmente de l'invasion—1914" par l'Association ATB 14—18 (novembre 2014), tiré du bulletin paroissial de Fournes en Weppes.

 L'EGLISE, CAMP DE PRISONNIERS

L'épisode le plus dramatique de cette sinistre journée du 10 octobre 1914 qui vit l'occupation définitive de notre petit pays, ce fut la capture et le refoulement vers Fournes de mille prisonniers civils. J'ai raconté, comment, le vendredi 9 octobre, des milliers de civils, des régions de Lille, Roubaix, Tourcoing, désireux d'échapper à l'emprise ennemie, s'étaient mis en marche vers Dunkerque, Gravelines, Calais. Ils formaient une multitude, une véritable mer humaine qui s'avançait lentement, gênée par sa propre masse. Il eût fallu leur laisser les routes libres pour que ce flot vivant s'écoulât peu à peu. Mais les officiers français jugèrent prudent de barrer le passage au Maisnil, vendredi soir. Il restait des milliers d'émigrants qui passèrent la nuit comme ils purent, dans des abris de fortune sur les communesde Fournes,Beaucamps, Hallennes, Fromelles, Le Maisnil, Radinghem et sans doute ailleurs encore. Tous ne se mirent pas en route de bon matin. L'ennemi qui connaissait leur présence n'eut pas de peine à s'en emparer. S'avançant sur plusieurs routes parallèles à la route nationale qui traverse Fournes, Il lança à leur poursuite tout ce qu'il avait de troupes légères : uhlans et cyclistes. La simple apparition de cette avant-garde, quelques coups de fusils décrochés çà et là, un ordre bref : » Rendez-vous » jetèrent la panique dans cette foule sans défense. Que pourraient-ils faire d'autre que de capituler ? Les uns s'étaient jetés dans les fossés, les autres levaient les bras en l'air. Il suffit d'une poignée d'Allemands armés pour cueillir des milliers de civils sans armes. Les feuilles germaniques se firent un titre de gloire de ce coup de filet gigantesque qui mettait, en leurs mains, dix mille hommes qui eussent pu rendre service de l'autre côté. L'affaire, peu glorieuse du côté militaire, accuse plutôt un manque de coordination entre les autorités civiles et militaires. Encore une histoire, direz-vous et vous aurez raison, à mettre au compte de la pagaïe (pagaille)des temps de guerre. Qu'est-ce que l'envahisseur allait faire de ces innombrables captifs. Il était trois heures de l'après-midi quand une personne me dit : » Il vient d'arriver une forte colonne de prisonniers civils escortée par des soldats allemands. On les a parqués dans un champ de betteraves entre le château et la route nationale. Parmi eux, il y a un prêtre. […] Un moment après, des officiers vinrent me voir. Très poliment, l'un d'entre eux me dit : » Monsieur le Curé, veuillez retirer le Sanctissimum (le Saint- Sacrement) de l'église : l'autorité militaire a décidé d'enfermer les prisonniers dans l'église, cette nuit. Nous n'avons pas d'autre logement. Et c'est ainsi que durant la nuit du Samedi 10 au Dimanche 11 octobre 1914,1'église de Fournes fut transformée en un vaste camp de prisonniers. […].

Le curé de Fournes sur la demande d’un moine trappiste et prisonnier, leur donnera l’absolution collective juste avant leur départ vers l’Allemagne.

Dans ces camps où la vie qu’ils endurent est soumise à l’arbitraire, à la violence et à la soumission, les prisonniers des 20 000 ont composé une chanson qu’ils ont intitulé « Radinghem » laissant entrevoir leur souffrance.

Dans les baraquements de bois où ils souffrent du froid l’hiver, de la chaleur l’été et où ils endurent les pires tortures morales, nos Prisonniers civils du Nord, ceux qui ont été pris par les uhlans sur la route de l’exode, le 10 octobre, entre Lille et Béthune, chantent pourtant… Que chantent-ils ? Une complainte composée par l’un d’eux : « Radinghem », récit rimé du tragique épisode qui a causé leur malheur présent. Voici cette chanson qui nous est aimablement communiquée par un Rapatrié d’Allemagne, M. Fernand Lhermitte…. Les lettrés diront peut-être que les vers n’en sont pas très réguliers et que la césure n’est pas toujours à l’hémistiche. Que leur importe, à nos pauvres compatriotes de là-bas ! Le cœur y est, et puis ces vers simples n’évoquent-ils pas la dernière journée qu’ils ont vécue au pays ? Cela leur suffit…

« sur l’air du Crédo du paysan »

Merseburg : Camp ouvert le 25 septembre 1914, pour soldats et civils (originaires notamment du Nord), situé dans la province de Saxe, proche de Leipzig.

Havelberg : Camp principal de représailles pour civils (Français et Russes), mixte, et de militaires, situé dans le Brandebourg -à la frontière de la Haute Saxe (?), au Nord de Brandebourg (Brandenburg) sur l'Havel Sur une carte envoyée par un des prisonniers, l'on peut lire :"Le prisonnier de guerre est autorisé, à écrire une carte par semaine et 2 lettres de 4 pages, en grosse écriture, par mois." (les censeurs ont dû se plaindre de ne pas arriver à déchiffrer les écritures...). 3 officiers d'état-major, chefs de bataillons, y sont retenus en représailles (G. H., 22e Régiment d'Infanterie Coloniale - Gérard A., 3e Régiment d'Infanterie - D. Raoul, 113e Régiment d'Infanterie

Guerre 39/45

Trois avions se sont écrasés sur Radinghem.

Craignant la population en ces derniers jours de guerre, les Allemands prirent 10 hommes en otage, fusil pointé sur eux devant la 1ère maison (sur la droite) de la rue Pontchel-Boutry lors du passage d’un convoi militaire.

Le drapeau des Anciens combattants a été pris en 1940 par les Allemands, retrouvé et repris en 1943 par un sous-officier français. Placé aux fêtes de la libération dans la cathédrale de Bordeaux avant de revenir à Radinghem.

Après-guerre

La vie du village est rythmée par les travaux des champs dont la culture du tabac, qui fut importante dans les années 20 dans les Weppes… C’était le temps des « manoques ».